Les cris d’enfants et les conversations des mamans troublent le silence matinal au centre de santé Akala, à Siaya, dans l’ouest du Kenya. Une trentaine de mères de famille attendent patiemment avec leurs nourrissons devant le centre de vaccination.

En plus des injections habituelles contre la polio ou la rougeole, une nouvelle piqûre figure au menu : le Mosquirix ou RTS,S, premier vaccin contre le paludisme autorisé par l’OMS. Cette maladie, mieux connue sous le nom de malaria, est un tueur en série, responsable de la mort de plus de 619 000 personnes en 2021.Préparation d'un vaccin avec une seringue.Le RTS,S ou Mosquirix est le premier vaccin contre la malaria approuvé par l’OMS.  Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Transmise par les piqûres de moustiques anophèles, elle frappe principalement en Afrique subsaharienne, où se trouvent 95 % des cas. Elle fait partie du quotidien sur ce continent à tel point que les populations ont appris à vivre avec elle, développant au fil du temps une forme de résistance. Mais les enfants de moins de cinq ans, eux, sont particulièrement vulnérables.

Sarah Onyango ne le sait que trop bien. Elle se souvient très clairement du jour où un enfant de son voisinage est décédé des complications d’une malaria mal traitée. C’était une petite fille de neuf mois. C’était très triste. Et je veux éviter ça, dit-elle, en inclinant la tête vers sa fille Ariadne, assise sur ses genoux. La jeune mère célibataire tente du mieux qu’elle peut de la protéger du soleil.Sarah Onyango marche avec sa fille Ariadne dans un jardin.Depuis sa naissance, Ariadne a changé la vie de sa mère, Sarah Onyango. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Depuis sa naissance il y a moins d’un an, Ariadne est devenue le centre de son univers. Elle a changé ma vie du tout au tout. Je veux vraiment qu’elle soit en santé. Sarah ne rate donc aucun rendez-vous à la clinique.

« Les maladies qu’elle peut attraper m’inquiètent beaucoup. Alors, j’applique vraiment toutes les mesures de prévention contre les possibles infections. »— Une citation de   Sarah Onyango, mère d’Ariadne

Le vaccin contre la malaria, offert depuis peu, représente une avancée considérable. C’est la meilleure chose qui nous soit arrivée depuis longtemps, précise l’infirmière-chef Elsa Swerua en injectant une dose dans le bras d’un nourrisson.Le professeur Simon Kariuki discute avec une mère.Le professeur Simon Kariuki éprouve une grande satisfaction en voyant ses années de recherche enfin récompensées. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Dans la salle d’attente, le professeur Simon Kariuki échange avec Sarah, prend des nouvelles de sa fille qui attend sa troisième dose. Le chercheur tire visiblement une grande fierté de cette campagne de vaccination qui représente pour lui le couronnement d’une vie consacrée à lutter contre cette maladie. Quand j’ai commencé à travailler là-dessus, il y a 30 ans, je n’avais aucun espoir de voir, de mon vivant, un vaccin contre la malaria.

« Ce vaccin va permettre de sauver beaucoup de vies; plusieurs centaines de milliers de vies. C’est très satisfaisant sur le plan scientifique. »— Une citation de   Professeur Simon Kariuki, chercheur en chef à l’Institut kényan de recherche médicale et expert en paludisme

Portrait du professeur Simon Kariuki.Le professeur Simon Kariuki a consacré sa vie à la recherche sur la malaria. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Le développement du vaccin n’a pas été simple, le manque de financement constituant le premier écueil. C’est vu comme un problème de l’Afrique subsaharienne. Alors, investir dans un vaccin contre la malaria, ce n’est pas très attirant pour les compagnies pharmaceutiques, avoue sans ambages le professeur.Vue d'un parasite à travers un microscope.Transmis par les moustiques, le parasite « Plasmodium falciparum » est responsable de la malaria. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Mais le parasite qui cause la maladie, le Plasmodium falciparum, s’est surtout révélé un adversaire redoutable. Ce parasite constitue tout un défi. Son cycle de vie est beaucoup trop compliqué, explique Simon Kariuki. Il y a deux étapes, une pendant laquelle le parasite se développe dans le moustique et une où il se développe chez l’humain. Une fois dans le corps, il s’étend à plusieurs organes. On ne savait pas quelle étape cibler.

Téléjournal Montréal

Malaria : un vaccin autorisé par l’OMS

4 minutes 41 secondes04:41Dr Simon Kariuki assis à une table.L’Institut kenyan de recherche médicale à Kisumu se spécialise dans la lutte contre la malaria. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Produit par la pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK), le RTS,S fonctionne en ciblant une partie de la protéine circumsporozoïte à la surface du parasite du paludisme. L’idée est qu’un individu vacciné génère des anticorps et élimine le parasite avant qu’il puisse pénétrer dans les globules rouges.

Administré en quatre doses, il offre une efficacité d’environ 40 %. Ce n’est pas parfait, mais cela a déjà permis de réduire de beaucoup le fardeau de la malaria dans les zones où le vaccin est déployé au Ghana, au Kenya et au Malawi. Le problème, c’est qu’il est encore peu disponible.Une technicienne de laboratoire tient une pipette.Au centre de recherche de Kisumu, une technicienne de laboratoire prépare des prélèvements sanguins pour analyse. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

GSK a promis de fournir 18 millions de doses d’ici trois ans, mais selon l’OMS, il faudrait 100 millions de doses par an pour protéger les enfants qui naissent chaque année dans des zones endémiques. Heureusement, selon le professeur Kariuki, il y a de l’espoir à l’horizon.

« Le RTS,S n’est que la première génération de vaccins contre le paludisme. Beaucoup d’efforts sont déployés pour développer des vaccins plus efficaces et qui pourraient offrir une protection bien plus importante que la génération de vaccins dont nous disposons. »— Une citation de   Professeur Simon Kariuki, chercheur en chef à l’Institut kényan de recherche médicale et expert en paludisme

Un autre vaccin, le R21, actuellement testé au Burkina Faso, laisse entrevoir une efficacité de 75 %. Et la firme allemande BioNTech, célèbre depuis qu’elle a développé le premier vaccin contre la COVID-19, vient d’annoncer qu’elle commence des essais de phase 1 d’un candidat vaccin contre la malaria basé sur sa technologie à ARN messager.

Un traitement basé sur des anticorps monoclonaux semble lui aussi très prometteur. Des pas de géant, franchis au cours des dernières années, qui permettent enfin d’être optimiste.

« Si tout est mis en œuvre, nous serons en mesure d’éliminer et même d’éradiquer la malaria de notre vivant. »— Une citation de   Professeur Simon Kariuki, chercheur en chef à l’Institut kényan de recherche médicale et expert en paludisme

Sarah Onyango déplace une moustiquaire.Sarah Onyango a installé une moustiquaire au-dessus de son lit. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

D’ici là, Sarah Onyango va continuer à drainer l’eau stagnante sur son terrain, à utiliser des insecticides et à dormir sous une moustiquaire avec sa fille Ariadne, meilleur moyen de protéger celle qu’elle surnomme sa petite reine.

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